Muriel
Pourquoi aimons-nous nos fautes ?

Bonjour à tous,

De langue maternelle française, je suis pointilleuse sur l'usage correct de cette belle langue qu'est le français. Je m'efforce de bien la parler, de bien l'enseigner, d'en dompter les difficultés, et d'améliorer en permanence la connaissance que j'en ai.
Je veux dire par là que lorsque je découvre que j'ai fait une faute, je me hâte de la corriger.


Cependant, tout le monde ne fait pas cela. Et je dois admettre que, parfois, j'ai moi aussi éprouvé certaines réticences à corriger mes erreurs. Aussi étonnant que cela puisse paraître, tout se passe comme si ces erreurs avaient de la valeur, au point que l'on ne parvient pas aisément à s'en détacher, à y renoncer.

Pourquoi aimons-nous nos fautes ? Parce que lorsque les hommes apprennent une erreur, cette erreur a une histoire, est entremêlée d'émotions, porte une empreinte affective, et est dès lors véritablement chargée de sens. Il en résulte que la corriger constitue en même temps un acte de réconciliation avec la langue et un acte de trahison, voire de rupture, vis-à-vis du groupe humain dans lequel on a appris un emploi fautif.

 

Prenons quelques exemples. Beaucoup de Français emploient erronément "si j'aurais" au lieu de "si j'avais". On peut toujours essayer de les reprendre afin de les aider à corriger cette faute, on observe aisément que si dans leur famille, si dans leur groupe d'appartenance, la plupart des gens disent "si j'aurais", cela n'a pas de sens pour eux de s'écarter de la norme dominante en acceptant de dire "si j'avais", même si les grammairiens insistent sur le fait que cette forme est la seule correcte. Ceci témoigne du fait qu'il nous faut consentir un effort important pour renoncer à l'erreur et accepter de parler une langue peut-être plus juste en théorie mais qui diffère de celle de notre groupe d'origine en pratique.

 

Regardons sur italki ce qui se passe lorsqu'on aborde un point de grammaire tel que "après que" + subjonctif ? ou "après que" + indicatif ? http://www.italki.com/question/288085
Tous ceux pour qui il est naturel d'employer le subjonctif sont convaincus que l'on ne doit pas employer l'indicatif. Ils ont tort parce que la grammaire impose d'employer l'indicatif dans ce cas, et uniquement l'indicatif, mais ils ont raison d'un point de vue humain et affectif parce qu'ils sont attachés à l'usage qui est fait de cette erreur autour d'eux. Par conséquent, la faute semble parfois plus vraie, plus juste, que l'usage conforme à la règle de grammaire, qui sonne à l'oreille comme impropre et désagréable.


Autrement dit, il y a deux façons de parler une langue : vous pouvez soit la parler conformément aux règles de grammaire, d'orthographe et de phonétique qui en régissent l'usage, soit la parler avec votre coeur, c'est-à-dire en attachant plus d'importance aux liens humains qui la sous-tendent qu'aux manuels de grammaire, dictionnaires et autres contraintes généralement défendues par de vieux barbichus obstinés (dont je fais partie, la barbiche en moins !)

 

Je pense que l'on commence à connaître vraiment bien une langue lorsqu'on en connaît les fautes les plus courantes et que l'on sait les identifier comme des fautes.

Ainsi, beaucoup de Français disent <em>génycologue*</em> à la place de gynécologue, <em>hisurte*</em> au lieu de hirsute, <em>infractus*</em> au lieu d'infarctus, prononcent la première syllabe du mot "œsophage" comme "eux" au lieu de la prononcer "é", etc. Ces erreurs font partie du tissu vivant de la langue d'aujourd'hui ; il est utile de les connaître mais nous ne devrions jamais nous sentir obligés de les reproduire.

 

Enfin, chacun de nous devrait rester ouvert à l'idée que l'emploi qu'il fait d'un mot, d'une tournure, est peut-être erroné. Nous affirmons trop souvent sans prendre le temps de vérifier, en nous fiant simplement à ce que nous croyons savoir. Comme toutes les langues, la langue française est pleine de subtilités. Il ne suffit pas de parler sa langue maternelle pour en connaître toutes les règles. Rappelons-nous que nous n'avons jamais fini d'apprendre ! Ne nous contentons pas de ce que nous avons toujours entendu dire autour de nous : entretenons notre curiosité, questionnons, cherchons, vérifions !

Mar 18, 2015 11:09 AM
Comments · 9
2

J’ai bien aimé vos réflexions sur la valeur affective des fautes, elles sont brillantes.
Pardonnez mes fautes! le français n’est pas ma langue maternelle. Mais justement, apprendre mieux sa propre langue en corrigent ses propres fautes, ou apprendre une langue étrangère, est en effet une expérience de rupture avec son propre monde. Je me rappelle de mes partenaires qui étudiaient l’italien, ils étaient profondément étonnés, presque scandalisés, d’apprendre que la fleur en italien se dit il fiore et non la fiore, c’est à dire que en italien la fleur est un nom masculin, cela pour eux était inacceptable. L’identité des mots est un morceau de notre identité, corriger les fautes correspond à la douleur qu’on épreuve lorsqu’on se sépare de quelque chose qui nous appartiens intimement.

March 18, 2015
1

D'ailleurs on dit " faute d'orthographe " au lieu d' " erreur ". Comme s'il y avait une dimmension morale dans le fait se tromper dans l'utilisation de la langue. Le français est une langue particulièrement complexe au niveau de l'orthpgraphe, l'une des seules dans ce genre à écrire beaucoup de lettres mais à n'en lire que certaines. Je crois que c'est l'unique exemple parmi les langues latines.

Autre point, certaines erreurs ne sont presque jamais relevées alors même qu'elles sont commises à profusion. Par exemple dans tous les médias, les journalistes disent " l'article XXXX de temme  loi stipule que .... ". Ce genre de travers agace beaucoup les juristes. La loi ne stipule pas, elle dispose. Il faut dire " l'article XXX dispose que ...." et non pas stipule. ce sont les contrats et les convention qui stipulent, pas la loi, pas la Constitution, pas les décrets et règlements...

March 23, 2015
1

Je comprends votre objection, Elias, et ne suis pas loin de la partager car je trouve comme vous qu'une langue vivante doit s'adapter au parler de ses locuteurs, en se renouvelant.


Ceci étant posé, nous savons bien que la langue orale et la langue écrite diffèrent. La langue des académiciens doit-elle pour autant disparaître au profit du parler vulgaire ? Chacun peut avoir son point de vue sur la question. Je serais plutôt favorable à une cohabitation !


Non seulement le problème que vous soulevez est complexe sur le plan de la logique inhérente à la langue mais, de plus, il est profondément politique : la plèbe a toujours constitué la majorité du peuple sans pour autant que ce soit elle qui édicte les règles de la vie sociale.


Il ne faut pas oublier que la façon dont nous parlons une langue nous distingue et nous discrimine. Les fautes que nous faisons signent notre appartenance à un certain milieu. Bon nombre de fautes trahissent ainsi une origine modeste ou sont le stigmate d'un manque d'éducation. On ne dit jamais « si j'aurais » parmi les élites et les milieux aisés. Il en résulte que celui qui dit « si j'aurais » n'accède pas aux mêmes perspectives de carrière ni au même salaire que celui qui dit « si j'avais ». C'est une des raisons pour lesquelles cette faute pourtant fréquente ne parvient pas à s'imposer comme un modèle dominant.

March 21, 2015
1

Je trouve votre réflexion très intérêssante. Mais je voudrais tout de même exprimer une réserve sur ce qui semble constituer le fondement même de votre raisonnement. Vous dites que " Ils ont tort parce que la grammaire impose d'employer... ". Vous partez du principe que pour parler correctement, il est impératif de respecter les règles de la grammaire.
Je ne suis pas d'accord avec ça. Pour moi ce n'est pas aux locuteurs de se plier à la grammaire, mais au contratre, aux règles de la grammaires de suivre les mouvement. La grammaire ne constitue qu'un cadre servant à donner une structure à la langue, et non pas des chaînes pour imposer de parler de telle ou telle manière.
Si un grand nombre de francophones se mettent à employer " si j'aurais " au lieu de " si j'avais ", alors pour moi les deux deviennent également valables. Si maintenant une majorité opte pour " si j'aurais ", alors telle devient la règle.  C'est la grammaire qui doit suivre les locuteurs. Avancer l'inverse est un contre-sens.
Maintenant, question subsidiaire, les règles de cette grammaire, qui les fixe ? un groupe de liguisites ? Non ce sont plutôt les locuteurs. Et si ce n'est pas le cas, ce doit l'être. Raison de plus pour dire que la grammaire doit se conformer au parler des gens, pas l'inverse. 

March 20, 2015
1

Ce n'est pas nos fautes qu'on aime, mais notre controle sur cet organisme vivant qu'est la langue.

Si on essaie de la manipuler et de la réglementer, on finit avec des idiomes imposés, du vocabulaire figé et d'une langue demi-morte.

March 19, 2015
Show more